En 2015, la mort d’un Aigle Ibérique – Aquila adalberti – provenant du sud de l’Espagne mit la lumière sur le danger des électrocutions pour les oiseaux de proie au Maroc. Depuis, des associations telles que l’Association Marocaine pour la Fauconnerie et la Conservation des Rapaces se sont penchées sur le sujet et ont soutenu l’initiative conjointe du Département des Eaux et Forêts du Maroc et de l’UICN-Med à travers le Programme d’appui aux associations PPI-OSCAN II.
« Au Maroc, la mortalité par électrocution représente la plus grande menace qui plane sur les aigles. » (Karim Rousselon, Vice-Président de l’Association Marocaine de Fauconnerie et de la Conservation des Rapaces – AMFCR)
Créée en 2016 et membre de la International Association for Falconry and Conservation for Birds of Prey (IAF), l’AMFCR consacrée à la conservation des oiseaux de proie au Maroc; notamment grâce à l’installation de balises GPS qui permettent d’étudier les mouvements des individus marqués afin d’identifier les zones importantes et les risques auxquels sont exposés ces oiseaux. L’association s’est penchée sur le sujet notamment grâce à une espèce emblématique : L’Aigle de Bonelli (Aquila fasciata).
Aigle de Bonelli sur un poteau électrique
« Nous avons malheureusement récupéré il y a peu le cadavre de M23, un aigle de Bonelli tué par un poteau de moyenne tension. Il avait été équipé d’une balise GPS en septembre dernier. Il existe des milliers de poteaux électriques mortels pour les rapaces qu’il faut identifier, caractériser et ensuite isoler. C’est pour cela que l’Aigle de Bonelli – Aquila fasciata – est un bon indicateur pour nous, car il nous permet de détecter les points noirs de la région. » explique Karim, vice-président de l’association, qui possède un permis scientifique délivré par le Département des Eaux et Forêts (DEF) lui permettant de capturer, manipuler et marquer certaines espèces.
« Il nous arrive aussi de marquer dans une moindre mesure des individus réhabilités suite à des accidents ou des blessures. Notre association s’occupe d’un centre de récupération et de réhabilitation de rapaces situé dans la région de Bouznika, dans la Province de Benslimane. Les rapaces blessés y séjournent le temps de récupérer leur capacité de vol ; c’est une condition essentielle à leur réintégration dans la nature. »
Rapaces soignés dans le centre de récupération et réhabilitation
À ce jour, 19 aigles ont été marqués et l’association reçoit les données de manière quotidienne, à raison d’une position GPS toutes les 5 minutes. De plus, les balises sont équipés de capteurs permettant également de fournir des données fiables sur la température, l’altitude ou encore la vitesse de déplacement de l’oiseau. Les capteurs disposent aussi d’un accéléromètre afin d’avoir un maximum de précision possible. Les résultats préliminaires de cette étude permettent déjà de mettre partiellement en relief le schéma de dispersion pour la plupart de ces individus immatures et erratiques.
« De notre côté, des solutions pour l’atténuation de l’impact des structures électriques sur l’avifaune au Maroc ont récemment été développées et devront être appliquées sur le terrain prochainement, notamment dans la région de Guelmim. Mais ce n’est qu’une partie de tout le travail qu’il faut réaliser pour améliorer le statut de conservation de ces espèces. »
L’importance du soutien des acteurs du secteur public et privé
« Nous encourageons l’ensemble des partenaires nationaux comme le Départemet des Eaux et Forêts, les opérateurs du secteur électrique, et les organisations non gouvernementales à collaborer avec nous afin de réaliser un travail encore plus efficace. Mais nous sommes également conscients que c’est un défi pour le pays de développer ses infrastructures électriques sans compromettre son avifaune. » poursuit Karim.
Exemple de données de suivi d’un Aigle de Bonelli durant 6 mois.
En janvier 2016, l’UICN-Med a dirigé une expédition à Guelmim-Oued Noun, une région qui avait été témoin d’une série d’électrocutions de trois aigles ibériques – Aquila adalberti -, une espèce protégée, entre autres, par la Convention des Espèces Migratrices. L’un de ces individus portait un émetteur satellite provenant de la station biologique de Doñana, rattaché au Conseil Supérieur de Recherche Scientifique (EBD-CSIC) sous la tutelle du Ministère régional de l’Environnement de l’Andalousie.
La Journée Mondiale des Oiseaux Migrateurs, encouragée par la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage et l’Accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie, permet de rappeler que la technologie est un outil important pour le suivi, l’observation, l’analyse et la conservation des oiseaux migrateurs et non migrateurs. Ces techniques innovantes permettent la récolte des données et mènent à la mise en place de mesures de protection concrètes des espèces.
Le Maroc, un couloir de migration privilégié pour les oiseaux
Le détroit de Gibraltar est l’épicentre de la migration dans la partie occidentale du bassin méditerranéen, l’endroit où tous les oiseaux se retrouvent afin de se rendre vers le Nord ou le Sud, selon la période de l’année. Mais c’est aussi là où nombre d’entre eux périssent dans leurs routes migratoires face à des menaces d’origine anthropique telles que le braconnage, l’empoisonnement ou les collisions et l’électrocution avec des structures électriques ou naturelles, notamment lors de la traversée du Sahara.
On parle généralement de migration lorsqu’il s’agit d’un mouvement Nord-Sud ou Sud-Nord des oiseaux de manière saisonnière. Ce phénomène naturel permet aux oiseaux d’augmenter leurs chances de reproduction ou d’échapper à une modification d’habitats, mais aussi car certaines espèces ont des habitudes alimentaires bien définies qui les obligent à se rendre sur une autre région du monde pour une partie de l’année.
Au début du XXe siècle, il y avait au Maroc 27 espèces de rapaces diurnes nicheurs. Au début du XXIe siècle, 5 espèces avaient disparu du pays en tant qu’espèces nicheuses : le Vautour fauve (Gyps fulvus), le Vautour moine (Aegypius monachus), le Vautour oricou (Torgos tracheliotus), l’Aigle ibérique (Aquila adalberti) et l’Autour sombre (Melierax metabates). Il ne reste donc que 22 espèces de rapaces diurnes nicheurs, dont 8 sont migratrices.
Dans une démarche de protection des oiseaux de proie, l’UICN-Med a récemment mis en place une application mobile permettant de collecter des données pour identifier les lignes électriques les plus dangereuses. Leur détection permet d’aider les travailleurs du secteur électrique à gérer et réduire les risques de choc électrique des rapaces. Un guide pratique pour l’identification de ces lignes électriques a également été publié avec la contribution de l’AMFCR.
Nous remercions Karim pour sa contribution à cet article et pour son travail, motivé par une grande passion pour les rapaces :
« Ma passion pour les oiseaux de proies remonte aussi loin que remontent mes plus anciens souvenirs d’enfance. Les images d’éperviers d’Europe jaillissants de la canopée pour plonger dans un groupe d’étourneaux, d’Aigles de Bonelli frappant violemment le sol pour attraper un lapin, ou encore de faucons hobereaux déployant toute leur habilité pour capturer les rapides hirondelles à la tombée de la nuit restent à jamais gravées dans ma mémoire et m’ont naturellement conduit à m’intéresser à la Fauconnerie, forme personnalisée de l’ornithologie. Aujourd’hui, je me définis comme un Fauconnier à l’approche scientifique et conservationiste, au service de la protection des oiseaux de proie. »
